La réponse étatique, populaire et internationale au terrorisme dans les pays africains

La réponse étatique, populaire et internationale au terrorisme dans les pays africains 1. La riposte des États africains au terrorisme La Convention de l’UA contre le terrorisme (article 4-2) impose aux États africains de veiller à ce que « leur territoire ne soit pas utilisé comme base pour la planification, l’organisation ou la commission d’actes terroristes […]

La (re)constitution d’États africains solides, un objectif indépassable de la coopération eurafricaine ?

La (re)constitution d’États africains solides, un objectif indépassable de la coopération eurafricaine ? Que ce soit pour sa coopération avec l’UA, celle avec les organisations sous-régionales, ou encore celle directe avec les États africains, l’horizon de la politique européenne en Afrique semble difficilement être en mesure d’écarter une aide aux États africains fragilisés ou effondrés.  1. […]

Des relations euro-africaines anciennes, plurielles et multi-dimensionnelles

L’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) définissent leur collaboration à
l’occasion des sommets trisannuels UE-UA, dont le dernier s’est tenu en février
2022. Dans ce premier cadre de coopération peut être retenue comme un tournant
l’année 2007, où la Stratégie commune Afrique-UE intégra, en plus des objectifs de
coopération et de développement, celui de « soutenir les aspirations de l’Afrique,
désireuse de trouver des réponses transrégionales et continentales à certains défis
cruciaux ».

À cette principale stratégie s’ajoute l’accord de Samoa, qui succède à l’accord de
Cotonou (2000) et qui s’applique depuis le premier janvier 2024 pour une durée de
vingt ans. Comme le rappelle le site du Conseil européen 2 , ces deux cadres globaux
sont complétés par trois stratégies régionales à destination du Sahel, du golfe de
Guinée et de la Corne d’Afrique.

Si la coopération UE-UA porte sur quatre principaux domaines (le commerce, le
développement, la sécurité et les migrations), le volet sécuritaire joue un rôle
politique à part.
Il est en effet celui où l’UA cherche plus particulièrement à affirmer son
indépendance vis-à-vis de l’UE. C’est ce qu’illustre notamment le développement de
sa propre conception des opérations de paix, au sein desquelles le recours à la force
joue un rôle de premier plan. Un autre aspect de cette affirmation d’autonomie est le
déploiement des soldats, tant dans le cadre de l’UA que dans celui des opérations
eurafricaines et onusiennes. À noter par exemple que sur les dix premiers
contributeurs de troupes aux opérations onusiennes, cinq sont africains (l’Éthiopie, le
Rwanda, le Sénégal, le Ghana et le Nigéria).

La collaboration UE-UA connait des axes d’amélioration conséquents.
Une première limite est aujourd’hui d’ordre financière. L’UA reste en effet
dépendante de l’UE, comme le montrent les différentes aides européennes,
auxquelles comptent le montant des investissements décidé à l’occasion du Sommet
2022 UE-UA (cent-cinquante milliards d’euros) ou encore le Fonds fiduciaire
d’urgence décidé lors du Sommet de La Valette en novembre 2015 (cinq milliards
d’euros).

Une deuxième limite est d’ordre politique. En effet, bien que l’UE soit le premier
partenaire commercial de l’UA, nombreux sont les pays africains plaçant les États-
Unis et la Chine comme des partenaires économiques plus importants que l’UE et
les pays européens 3 . Un des éléments explicatifs se situe dans « la nature des deux
organisations » 4 qui, bien qu’institutionnelles, sont dominées dans la pratique par
quelques-uns de leurs États-membres. Ceci vient renforcer l’action que ces États
peuvent avoir en parallèle du cadre UE-UA. C’est le cas par exemple de la Franceau Mali. En parallèle de la mission européenne, la France mena successivement
l’opération Serval (2013-2014) et l’opération Barkhane (2014-2022).

Cette donnée historique oblige, pour penser la coopération UE-UA, à intégrer à la
réflexion les relations historiques qu’entretiennent les États européens avec les États
africains.

A. La relation franco-algérienne ou le moteur des relations euro-africaines
Pour des raisons géo-historiques et parce qu’elle illustre l’imbroglio des relations
euro-africaines, la relation franco-algérienne est déterminante pour imaginer
l’évolution de la coopération euro-africaine.
La première raison est donc d’ordre géographique et historique.
Sur le plan géographique, l’Algérie est, comme le rappelle Benjamin Stora, « la plus
longue frontière entre l’Afrique et l’Europe » 5 (mille-quatre-cents kilomètres de
côtes). En découle un rôle décisif de l’Algérie sur les questions migratoires. Par
ailleurs, du fait de sa taille et sa situation géographique, l’Algérie est également « la
plus grande frontière saharienne » 6 , ce qui lui fait jouer un rôle unique sur le plan
sécuritaire, a fortiori dans la lutte contre le terrorisme.
Sur le plan historique, la France est le pays de l’UE ayant eu le plus grand empire
colonial en Afrique : 21 sur 54 pays africains, soit 38% du continent, sont
d’anciennes colonies françaises.
Une troisième donnée géo-historique tient à l’espace méditerranéen qui sépare les
deux pays. Comme le rappelle Jean-Louis Levet, la Méditerranée est « un espace
vital pour l’avenir des deux pays » 7 .
L’ensemble contribue à faire du duo franco-algérien un axe fondamental « pour la
construction d’un espace méditerranéen de prospérité partagée » 8 et plus largement,
un axe déterminant pour « des relations de partenariat avec l’Afrique » 9  ; à l’image
du duo franco-allemand dans le cadre des relations européennes.

La deuxième raison est d’ordre mémorielle.
La guerre d’Algérie (1954-1962) marqua profondément les relations franco-
algériennes. Sa violence courut jusqu’au 5 juillet 1962. Alors que l’Algérie fête
officiellement son indépendance, la manifestation d’Oran plonge le pays dans ce qui
est resté la journée la plus meurtrière du conflit : la « chasse à l’Européen » 10
débouche sur la mort ou la disparition de près de six-cent Européens et d’une
centaine d’Algériens.

Cette violence évolua dans sa forme et dans l’espace. Entre avril et septembre
1962, 650 000 pieds-noirs arrivent à Marseille avec l’accueil cité en introduction. Aux
propos de Gaston Defferre, déclarant en substance que sa ville était « la poubelle de
5 Benjamin STORA, « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie »,
janvier 2021
6 Ibid.
7 Jean-Louis LEVET, « France-Algérie : un futur commun à construire », Géoéconomie 2014/2 (N°69),
pages 47 à 64
8 Ibid.
9 Hubert VEDRINE, « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique
économique entre l’Afrique et la France », rapport au ministre de l’Économie et des Finances,
décembre 2013
10 “France-Algérie, une affaire de famille », reportage Arte, 18/03/2022

3
l’histoire », s’ajoutent les banderoles de la CGT accueillant les pieds-noirs dans le
port marseillais avec des slogans tels que « Les pieds-noirs à la mer » ou
« Retournez dans votre pays ».

L’accueil des harkis, qui suit chronologiquement celui des pieds-noirs, peut être
considéré comme « pire » 12 . S’il se fait en silence, les harkis sont soumis pour leur
part à « un régime quasi-carcéral » 13  : une vie dans les camps de 1962 à 1975, un
couvre-feu à 22h, un accès aux douches limité à une fois par semaine, etc.
Tout ceci laisse des traces, comme l’illustre le match de football du 6 octobre 2001,
opposant les équipes séniors des deux pays. Les débordements du match, dont les
principaux sont la Marseille sifflée et l’envahissement du terrain par des supporters
algériens, portent à voir plusieurs problématiques auxquelles la France est
confrontée, dont « le sujet de l’intégration ».

Néanmoins, c’est moins la guerre d’Algérie en tant que telle mais davantage la
période coloniale de cent-trente ans à laquelle elle met fin, qui est source de conflit
mémoriel.
À ce titre, peut être citée côté algérien la demande d’excuse formulée par le
président Abdelaziz Bouteflika dès 2006. Ceci s’explique principalement par
l’instrumentalisation par le FLN de la guerre d’Algérie, qui reste aujourd’hui son
« principal réservoir de légitimité » 15 . Le mouvement parle de « révolution » et
promeut « une culture de la guerre » 16 dans le but d’unifier le peuple algérien derrière
lui. La relation franco-algérienne est la première à en pâtir.
Côté français, le conflit mémoriel se traduit par différentes décisions politiques allant
du traité d’amitié (avorté) proposé par le président Jacques Chirac ; à la polémique
qui suivit le déplacement du candidat Macron, durant lequel il qualifia la colonisation
française en Algérie de « crime contre l’humanité » (février 2017).

B. La relation belgo-congolaise, un exemple de lecture morale du passé colonial
Le Congo est sous domination belge de 1885, année de la conférence de Berlin, à
1960, année de son indépendance, soit une période au total de soixante-quinze ans.
Un tournant s’opère en 1908 où le roi Léopold II lègue à l’État belge, la gestion de la
pièce maitresse de l’empire colonial belge en Afrique. Ce choix politique est majeur
pour plusieurs raisons.

La première concerne le quotidien des Congolais. L’administration belge instaure en
effet une domination « beaucoup moins brutale » 17 . Le système monarchique était
connu pour sa violence et critiqué à l’étranger, notamment aux États-Unis et en
Grande-Bretagne. Peuvent être cités à ce titre la campagne initiée en Grande-
Bretagne par Edmund Dene Morel, qui aurait contribué à la décision de Léopold II 18 ,
ou encore des ouvrages dont les plus connus sont Heart of darkness (1899) de
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Thomas NEXON, « France-Algérie, 6 octobre 2001 : plus que du football ? », université de Lyon,
Sciences Po Lyon, 2022
15 Laeticia BUCAILLE, « Algérie, exiger des excuses de la France », Raison publique, 20/03/2022
16 Ibid.
17 Laurent LICATA et Olivier KLEIN, « Regards croisés sur un passé commun : anciens colonisés et
anciens coloniaux face à l’action belge au Congo », L’Autre : Regards psychosociaux. Saint-Martin
d’Hères : Presses Universitaires de Grenoble, 2005, p. 255
18 Ibid.

4
Joseph Conrad et plus récemment, Les fantômes du roi Léopold : un holocauste
oublié d’Adam Hochschild (1998). Ce dernier se basa sur les observations laissées
par les coloniaux belges pour estimer à 50% l’effondrement numérique de la
population congolaise entre 1880 et 1920, qui serait passée de vingt à dix millions
d’individus. Les causes sont celles rapportées par les livres d’histoire français
portant sur la Traite négrière à savoir les conditions de travail (causant la faim et
l’épuisement), les épidémies et également les tueries et les déportations.
La deuxième concerne la lecture faite par les Belges de leur passé colonial. En
transmettant la gestion du Congo à l’administration belge, le choix de Léopold II peut
être lu comme une reconnaissance de sa responsabilité, en tant que roi belge, du
traitement déshumanisant reproché à la Belgique pour la période 1885-1908. Les
critiques formulées venaient en effet faire tomber l’objectif affiché par le roi à la
conférence de Berlin lors de laquelle il avait utilisé « l’argument de la lutte contre le
trafic d’esclaves afin de justifier ses prétentions à diriger le Congo » 19 .
A la suite de la reconnaissance par le roi lui-même de sa responsabilité dans l’action
coloniale, jugée inhumaine, vis-à-vis de la population congolaise, la Belgique n’a
cessé de formuler des excuses, ou plus précisément des « regrets », au Congo,
dans des contextes plus ou moins adéquats.
Un exemple probant est le meurtre de Patrice Lumumba en 1961. Nous sommes un
an après l’indépendance officielle du Congo, au sein de laquelle Patrice Lumumba a
joué un rôle de premier plan puisqu’il dirigeait le Mouvement national congolais, un
des mouvements autonomistes clés. En 1960, Patrice Lumumba est nommé Premier
ministre du Congo. En 1961, il est enlevé et assassiné. Prend le pouvoir le maréchal
Mobutu, qui instaure une dictature dès 1965.
S’il est admis que l’assassinat de Patrice Lumumba est de la responsabilité du
maréchal Mobutu (soutenu par les troupes sécessionnistes de la région de
Katanga), l’ouvrage Le meurtre de Lumumba (1999) de l’historien belge Ludo De
Witte accuse les autorités belges d’avoir joué un rôle « ambigu » dans le meurtre de
Patrice Lumumba. Ceci semble avoir ravivé instantanément les fantômes du passé
belge. En effet, le Parlement belge décide d’une commission d’enquête pour
déterminer le rôle de la Belgique dans le meurtre de Patrice Lumumba. Le rapport
conclut à « la responsabilité morale » de la Belgique dans ce meurtre (2002). En
réaction, Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères présente ses
« profonds et sincères regrets » au gouvernement congolais ; puis ses « excuses » à
la famille de Patrice Lumumba et également, au peuple congolais.
Ceci débouche également sur des aspects positifs. Le principal est le renforcement
des cours portant sur la période coloniale donnés aux élèves belges.
Caroline Désir, ministre de l’Éducation de la Fédération de Wallonie-Bruxelles, rendit
obligatoire les cours sur la colonisation. Si les écoles de Flandre en sont exemptées
et que la mesure ne s’appliquera qu’à partir de la rentrée 2026, force est de
constater que cette décision politique entraina une volonté collective de transmettre
aux enfants belges la réalité historique de la période coloniale. C’est ce qu’illustre
notamment la décision de l’Africa Museum de mettre en place des ateliers
spécifiques pour accueillir les publics scolaires.

19 Ibid.

5
L’État belge, à travers sa figure royale, n’a pas fini de « regretter » son passé
colonial. Lors de son déplacement de 2022 au Congo, le roi Philippe réitéra ses
« profonds regrets » pour un « régime colonial » basé sur « l’exploitation » et « le
racisme » (08/06/2022).
A noter que le lien entre colonialisme et racisme est fait par une partie des
universitaires dont Albert Memmi, considéré comme une des figures de la pensée
coloniale francophone. Pour Memmi, colonialisme et racisme sont liés dans leur
essence : « Le racisme résume et symbolise la relation fondamentale qui unit
colonialiste et colonisé » 20 .
De la même manière, les ouvrages écrits par des belges portant sur la période
coloniale belge n’ont pas fini de susciter la polémique. En témoigne également celle
vécue par Georges Rémi, dit Hergé, pour sa bande-dessinée Tintin au Congo
(1931).
La bande dessinée vendue à 10 millions d’exemplaires dû affronter bien des
épreuves pour arriver jusqu’à nous.
À la fin des années 1940, son éditeur Casterman lui impose une première
modification relative à la leçon dispensée par Tintin aux élèves congolais. Le cours
de géographie, de présentation de la Belgique, est remplacé par un cours de calcul.
Hergé écrit alors à son éditeur : « Tout ce que vous faites là, c’est pour complaire
non pas aux noirs d’Afrique, qui ne demandent rien, mais pour complaire à la
gauche occidentale bien-pensante" 21 .
À l’indépendance du Congo, en 1960, son éditeur Casterman met en pause la
réédition de cet ouvrage. « L'album n'est plus disponible dans les librairies, et le titre
de l'ouvrage n'est plus mentionné dans la liste des aventures de Tintin » 22 . Il est
finalement republié mais doit s’adapter aux demandes nationales. Dans les pays
scandinaves par exemple, Hergé doit remplacer la scène où le rhinocéros est
explosé à la dynamique, par une scène où l’animal « repart paisiblement » 23 . Hergé
fait alors ces adaptations pour des raisons commerciales.
En 2010 encore, un citoyen belge a demandé l’interdiction de vente de l’album,
soutenu par le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN). L’album en
question est alors qualifié de "raciste et xénophobe". Le Tribunal de Première
instance de Bruxelles déboute les plaignants de leurs demandes en déclarant que
Casterman et Moulinsart ne s'étaient pas rendues coupables d'infraction à loi belge
de 1981, visant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie.

C. La relation italo-libyenne, un exemple où la collaboration économique a pris le
dessus
L’histoire italo-libyenne a deux particularités.
La première est d’avoir commencé après la conférence de Berlin. L’occupation
italienne de la Libye commence en effet en 1911.
La seconde tient aux conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Avant celle-ci,
en 1930, le régime de Mussolini décide de reprendre la colonisation de la Libye, qui
s’était arrêtée aux côtes. La période 1930-1931 est alors l’une des plus noires de la
20 Albert MEMMI, Portrait du colonisateur, 1957, p. 89
21 Radio France, « Pourquoi « Tintin au Congo » fait-il encore polémique aujourd’hui ? », 23/01/2019
22 Ibid.
23 Ibid.

6
période coloniale italienne en Lybie : « 16 camps de concentration sont construits ;
270 km de barbelés sont déployés entre la Lybie et l’Égypte pour empêcher la fuite
des Libyens ; torture de tout type, viols, décapitations, exécutions sont perpétrés
contre la population » 24 . À cela s’ajoute la pendaison en 1931 d’Omar al-Muktar,
leader des forces rebelles, considéré depuis par les Libyens comme le héros
national de la guerre contre l’Italie. La Libye devient totalement une colonie italienne
en 1934.
En 1943, la Libye passe sous occupation britannique, à la suite de son invasion par
les Alliés. Ce n’est qu’avec le Traité de Paris (10 février 1947) que l’Italie renonce à
ses droits sur le pays.
La Libye devient indépendante en 1951.
La Libye et l’Italie ont signé trois accords majeurs à travers leur histoire, dont le
contenu a pris des formes similaires.
L’accord de 1956 (2 octobre) permet aux vingt-sept-mille Italiens vivant en Libye de
continuer à vivre en Libye, la majorité d’entre eux étant propriétaires d’exploitations
agricoles. En échange, l’Italie verse 2 750 000 lires de dommages de guerre à son
ancienne colonie.
Mais à son arrivée au pouvoir en 1969, le général Kadhafi fait exploser l’accord et
expulse les italiens de Libye.
L’Italie signe un second accord avec la Libye, en 1998. La Libye obtient
l’officialisation de la fin de l’accord de 1956, le déminage, la restitution des œuvres
d’art et l’engagement de Rome à « un « geste » de réparation pour les années de
colonialisme » 25 .
L’Italie obtient en échange un engagement libyen à une plus grande coopération
économique, la liberté d’entrée sur son territoire et « le paiement de la dette
revendiquée par quelque cent entreprises italiennes auprès du régime » 26 . Une
nouvelle fois, seule l’Italie respectera l’accord.
Du fait de ses intérêts en Libye, énergétiques et migratoires, l’Italie persiste et signe
un troisième accord avec la Libye en 2008 (30 août). La Libye obtient une
compensation de 5 milliards de dollars au titre de la période coloniale (250
millions/an pendant vingt ans) et la restitution de la Vénus de Cyrène du IIème siècle
après J.-C.
L’Italie obtient un engagement de Tripoli sur la question migratoire, qui se traduit
notamment par « l’application de l’accord de décembre 2007 sur les patrouilles
conjointes au large des côtes libyenne » 27 , une reconnaissance par la Libye de sa
dette vis-à-vis des entreprises italiennes et également une collaboration en matière
énergétique.
Si l’Italie a su envers et contre tout préserver ses intérêts en Libye, à commencer sur
le plan énergétique et sur celui migratoire, l’intérêt de ces accords est plus solide
côté libyen.
En effet, en obtenant pour son pays, au bout de quarante ans de contentieux, le
versement d’une « compensation » de son ancien colonisateur, le Guide libyen a
24 Chiara FILONI, « Fausses réparations et nouvelle colonisation italienne en Libye », CADTM,
09/10/2019
25 Giuseppe TERRANOVA, « Le contre-exemple italo-libyen », Outre-terre 2009/3 (N°23), pages 363 à
369
26 Ibid.
27 Ibid.

7
renforcé son rôle recherché de leader des pays ex-colonisés. Celui lui a permis de
« se poser en modèle pour les négociations à venir entre ex-colonisés et ex-
colonisateurs » 28 . Ceci s’inscrivait dans le prolongement de la politique nationaliste et
pan-arabe menée par Kadhafi depuis 1969, visant à fédérer les autres États arabes
de la région derrière lui. Le général multiplia les mesures dans ce sens, comme
l’expulsion précitée des italiens de Libye, ou encore le passage à une éducation
nationale arabisée jusqu’à l’inclusion de la loi coranique (1971).
Du fait des orientations politiques prises par le régime de Kadhafi, la collaboration
italo-libyenne joue un rôle déterminant dans les relations qu’entretiennent l’UE et les
pays arabo-musulmans. Ceci renforce le rôle-pivot de la relation italo-libyenne pour
les questions migratoires et sécuritaires et derrière, l’intérêt à agir de l’UE dans la
dégradation continue du pays depuis la mort de Kadhafi.

D. La relation allemande-namibienne : un exemple d’amnésie coloniale
Jusqu’aux années 1990, l’Allemagne a considéré n’être pas concernée par les
débats sur la (dé)colonisation, considérant par là-même être légitime comme
« médiateur entre pays africains et pays européens » 29 .
La principale raison avancée par les dirigeants allemands, soutenus par la
minimisation des historiens 30 , était la brièveté de l’empire colonial allemand. Celui-ci
ne dura que trente-quatre ans, de la conférence de Berlin (1884) au traité de
Versailles (1918) où l’Allemagne est dépossédée de toutes ses colonies.
Si l’empire colonial allemand n’a duré que trente-quatre ans, il n’en demeure pas
moins qu’il fut sur cette période « le quatrième au monde au regard de sa superficie
et le cinquième au monde à son nombre d’habitants » 31 .
A cela s’ajoutent les violences commises par l’Allemagne sur ses colonies, argument
qui est du moins utilisé par les Alliés qui reprochèrent aux Allemands « la cruauté de
leur administration coloniale » 32 pour s’approprier ses colonies en 1918.
Si l’usage de la violence n’est pas une particularité de l’action coloniale allemande,
cette dernière se distingue par une période particulière, qui dura quatre ans : les
années 1904-1908. Sur cette période, l’Allemagne mena la guerre en Namibie
contre les Herero et les Namas qui « se distingue par son caractère ouvertement
génocidaire » 33 . Est prise en référence la définition donnée par la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide adoptée par l’Assemblée générale
des Nations unies en 1948.
« L’amnésie » 34 allemande prend ses racines dans la construction-même de son
empire colonial. En effet, lorsque l’empire allemand d’Otto von Bismarck entame sa
28 Ibid.
29 Stephan MARTENS, « Allemagne-Namibie : enjeux d’une réconciliation post-coloniale », Politique
étrangère 2019/3, pages 129 à 140
30 Ibid.
31 Steffen BRUENDEL, « La Namibie et l’Allemagne, une relation postcoloniale », Allemagne
d’aujourd’hui 2016/3 (N°217), pages 166 à 181
32 Ibid.
33 Reinhart KOSSLER, « La fin d’une amnésie ? L’Allemagne et son passé colonial depuis 2004 »,
Politique africaine 2006/2 (N°102), pages 50 à 66
34 Ibid.

8
politique coloniale, en 1884, ses possessions sont toutes des protectorats
(Schutzgebiet). Puis l’Allemagne crée ses premières « colonies », c’est-à-dire « des
unités territoriales dépendantes politiquement » 35 d’elle, tout en continuant de les
nommer « protectorat » et ce, malgré « la création officielle de l’Office colonial du
Reich en 1907 » 36 .
Un deuxième élément explicatif à cette amnésie allemande est l’action de
l’Allemagne nazie pendant la Seconde guerre mondiale. L’Allemagne opéra ensuite
une forme de « sélectivité » 37 de sa mémoire nationale, les « atrocités commises par
l’Allemagne nazie éclipsant toute référence à la pratique coloniale ». Par ailleurs,
l’Holocauste devint « le point de référence incontournable de toute conception de
l’Histoire de l’Allemagne » 38 , ce qui orienta le débat allemand portant sur le passé
colonial sur la question du génocide.
Un troisième élément explicatif à cette amnésie allemande tient aux liens historiques
existant entre le génocide namibien et l’Holocauste. Lorsqu’en janvier 1908
Guillaume II décide de fermer les camps retenant les Herero et les Namas, émerge
Eugen Fischer, père de l’anthropologie génétique allemande. Sa thèse est que le
peuple allemand est menacé de « dégénérescence » du fait des « mélanges »
opérés entre « races », notamment en Namibie. Il vient donc réaliser des
expérimentations médicales, sur les cadavres. Or, « ses travaux sont considérés
comme une source de l’idéologie nazie » 39 et son principal disciple n’est autre que
Josef Mengele, médecin d’Auschwitz. Si ce lien survint à la fin du génocide
namibien, il le relie malgré tout à l’Holocauste, ce qui, à ce stade du processus
mémoriel, n’est pas assumable par l’Allemagne.
Le chemin parcouru par l’Allemagne peut être considéré comme exemplaire en
termes de pratique mémorielle. Dès sa création en 1949, l’État ouest-allemand se
présente comme le successeur légal du Reich, ce qui implique de porter la
responsabilité du passé.
Si les dirigeants politiques ont mis longtemps à dépasser le stade des « regrets » de
leur passé colonial, y compris à l’occasion du centenaire du génocide namibien en
2004, l’Allemagne a progressé vers une reconnaissance de son action génocidaire.
Deux étapes majeures peuvent être retenues à ce titre.
La première est le discours d’Heidemarie Wieczorek-Zeul, ministre SPD du
Développement et de la coopération économique, en 2004. Son discours du 11 août
2004 illustre son « courage personnel » 40 , bien que la décision d’indemnisation
qu’elle annonça six mois plus tard fut très mal reçue, du fait de la non-consultation
de la Namibie et du décalage avec le montant exigé par celle-ci.
Un autre cap est franchi en mai 2016, cette fois-ci par le parlement allemand. Il
adopte une résolution sur l’Arménie « qui s’avère être la plus embarrassante de
toute l’histoire des relations germano-turques » 41 , le gouvernement turc refusant
toujours de reconnaitre le « génocide » arménien. La relation qu’entretient
35 Ibid.
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Ibid.
40 Ibid.
41 Ibid.

9
l’Allemagne avec la Turquie est unique, ce qu’illustre notamment son immigration, à
majorité turque. Aussi, pour apaiser cette décision politique, l’Allemagne décida de
parler de « co-responsabilité » de l’Allemagne dans le génocide arménien,
l’argument étant que le gouvernement allemand en avait connaissance mais n’était
pas intervenu. Ce second cap ouvrit la porte à la reconnaissance allemande du
génocide namibien et déboucha en 2018 sur le discours du ministre des Affaires
étrangères Heiko Maas qui employa pour la première fois le terme de « génocide »
et annonça une enveloppe d’un milliard d’euros au titre de réparations.

E. La relation hispano-sahraoui, un exemple de relation coloniale méconnue
Le Sahara occidental est une colonie espagnole de 1884 à 1975, soit une période de
quatre-vingt-onze ans. Plus précisément, il est une colonie espagnole (1884-1958),
puis une « province » espagnole (1958-1975). Pour autant, ce presque-siècle est
peu documenté. En effet, les ouvrages de sciences humaines et sociales existants
relèvent d’analyses du conflit, débuté en 1975 et uniquement « sous l’angle des
relations internationales et du droit international » 42 , ce qui exclut la période
coloniale.
Ce manque nuit considérablement au Sahara occidental, a minima pour deux
raisons. La première est la méconnaissance du conflit, qui continue de courir 54 ans
plus tard. La seconde est que ce manque entretient un retard en matière de
mémoire coloniale, puisque les témoignages des anciens colonisateurs et colonisés
sont peu voire pas recueillis.
La recherche historique portant sur la colonisation espagnole du Sahara occidental
(alors appelé « Sahara espagnol ») relève principalement de « l’histoire
évènementielle » 43  ; à ce titre elle se contente de répertorier « les faits politiques et
militaires marquants du point de vue du projet colonial espagnol » 44 . Les travaux font
néanmoins l’impasse de toute analyse des rapports entre colonisateurs et colonisés.
Pour combler ce manque, irréversible dans le cas de la mémoire, un groupe de
chercheurs à dominance espagnole a mené des travaux de 2008 à 2011, financé via
un appel d’offres publié par le ministère espagnol de la Science et de l’Éducation.
Leur objectif était de produire une analyse approfondie de la période coloniale
espagnole au Sahara occidental.
Leurs travaux s’organisèrent en trois parties : la réalité socio-historique du peuple
sahraoui ; une approche d’économie politique du colonialisme et enfin la
construction de l’histoire du Sahara occidental ainsi que les mémoires du peuple
sahraoui.
Ces travaux constituent une première pierre d’analyse approfondie de la période
coloniale espagnole au Sahara occidental.
Le Sahara espagnol est marqué par le franquisme (1936-1975), qui couvre près de
la moitié de la période coloniale espagnole.
Cette période a ses parts d’ombre et de lumière.
42 Francesco CORREALE et Juan Carlos GIMENO MARTIN, « Sahara occidental : mémoires
coloniales, regards postcoloniaux », Les cahiers d’EMAM, 2015
43 Ibid.
44 Ibid.

10
L’aspect qui est sans doute celui le plus négatif retenu par l’histoire est l’occupation
illégale par l’Espagne du Sahara occidental de 1966 à 1975. En 1960, l’ONU adopte
sa célèbre résolution 1 514 qui reconnait le droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes. Trois ans plus tard, en 1963, l’Organisation de l’Unité africaine (OUA)
adopte sa charte dont l’un des articles engage ses membres à « respecter
l’intangibilité des frontières coloniales » 45 .
A partir de 1966, l’ONU et l’OUA demandent à l’Espagne franquiste de quitter le
territoire sahraoui, afin de permettre aux sahraouis d’accéder à la procédure
d’autodétermination de l’ONU. Il faut attendre la mort du général Franco en 1975
pour que l’Espagne évacue le Sahara, après 9 ans d’occupation illégale – sur le plan
du droit international.
Du point de vue des sahraouis, un des aspects positifs tient à la stabilité politique du
pays sur la période franquiste. « Comme l’affirment de nombreux Sahraouis âgés,
c’est en effet pendant cette période que le gouvernement espagnol – à savoir le
régime de Franco – maintint éloignés ceux qui devinrent ensuite les ennemis
d’aujourd’hui, c’est-à-dire les Marocains » 46 . La lecture des témoignages demande
un certain recul historique mais force est de constater que depuis la mort de Franco
et donc du départ espagnol, le Sahara occidental est plongé dans un conflit dont
l’issue n’est pas encore visible.
Depuis, l’Espagne est restée en retrait du confit sahraoui ; jusqu’en 2022 où elle
s’est rapprochée du Maroc sur la question sahraoui, mais uniquement pour défendre
ses intérêts sécuritaires ; puisqu’il s’agissait pour elle de défaire la crispation
diplomatique développée un an plus tôt avec le Maroc et qui avait conduit ce dernier
à des représailles migratoires. En effet, l’Espagne accueillit et soigna du covid
Brahim Gali, chef du Polisario (qui milite pour l’indépendance du Sahara occidental
depuis 1975). En réponse, le Maroc déclencha une arrivée massive de migrants
dans l’enclave espagnole de Ceuta.
Si l’ONU a multiplié les résolutions pour condamner l’occupation marocaine du
Sahara occidental, considérée à son tour comme illégale, les pays ont très
largement limité leur participation « individuelle » au conflit.
La dernière participation européenne est celle de la France en 1957. Elle fut permise
par la réintégration de l’Espagne franquiste à la communauté internationale (1955).
À cette date, la France et l’Espagne lancent une opération commune, l’opération
Écouvillon, qui vise à « mettre un terme à l’insurrection » 47 menée par le Maroc via
son Armée de Libération du Maroc du Sud (ALM).
Quant aux pays voisins du Maroc et du Sahara occidental, les interventions n’ont été
qu’instrumentalisation en réponse à leurs intérêts nationaux. Peut être noté à ce titre
le cas de l’Algérie, qui a fait du conflit « un véritable enjeu de politique intérieure » 48 ,
les généraux l’utilisant comme objet de consolidation de leur pouvoir par « une
surenchère nationaliste » 49 .
Un autre cas est celui de la Mauritanie. À son départ en 1975, l’Espagne sépara le
Sahara occidental entre le Maroc et la Mauritanie : c’est le traité de Madrid du 14
novembre 1975. Si celui a été immédiatement condamné par le Conseil de sécurité
de l’ONU (résolution n°380), les deux pays prirent leurs quartiers au Sahara

45 Khadija MOHSEN-FINAN, « Trente ans de conflit au Sahara occidental », IFRI, janvier 2008
46 Ibid.
47 Ibid.
48 Ibid.
49 Ibid.

11
occidental, ou du moins essayèrent puisque les troupes mauritaniennes durent
battre en retrait face au front Polisario, en 1978.

F. La relation ibéro-mozambicaine, un record de longévité
Parmi les anciennes puissances coloniales européennes, le Portugal occupe une
place à part. Chronologiquement, le Portugal est « le premier État européen à s’être
lancé sur les côtes africaines ». 50
Matériellement, la colonisation portugaise « pouvait se vanter d’être la championne
des colonisations européennes » 51 car la première à pratiquer ce qui est devenu la
nature des activités coloniales, à savoir « trafiquer », « s’y installer » et
« évangéliser » 52 .
Sur le continent africain, le Mozambique occupe lui aussi une place à part puisqu’il
est « l’un des derniers pays d’Afrique à avoir été décolonisé » 53 . Le Mozambique fête
son indépendance pour la première fois le 25 juin 1975.
La présence portugaise au Mozambique était alors « ininterrompue depuis le XVème
siècle » 54 , soit 500 ans d’occupation. L’intérêt du Portugal pour le Mozambique est,
dès ses débuts, de nature purement économique : le Mozambique lui fournit de la
main d’œuvre qui part principalement pour sa colonie brésilienne.
Sur les 500 ans de colonisation, l’occupation portugaise a beaucoup évolué. Au
XIXème siècle, la situation devient compliquée pour le Portugal.
Une première raison est le maintien par le Portugal de son objectif d’unification du
Mozambique. Or, encore aujourd’hui, le pays est connu pour « les divisions
ethniques le caractérisant » 55 . Ceci contribua à de multiples conflits entre le Portugal
et les populations locales, qui en plus d’être meurtriers, ralentirent la puissance
ibérique dans sa visée d’exploitation du territoire.
Une deuxième raison est une baisse conséquente du « patronage » (padroado en
portugais), c’est-à-dire des « engagements mutuels » 56 pris entre la papauté et la
couronne portugaise. Le patronage portugais remonte au XVème siècle. Au XIXème
siècle, la prééminence du souverain dans les relations coloniales, notamment avec
le Mozambique, connait une critique montante ; ce qui pousse la papauté à prendre
du recul dans les actions missionnaires, considérant qu’à travers la critique faite à la
couronne portugaise, c’était la légitimation de « la colonisation par l’Église » 57 qui
était fragilisée.
Une troisième raison est le manque de moyens du Portugal. S’il reste « à la fin du
XIXème siècle une grande puissance coloniale » 58 , le Portugal est, surtout lorsqu’il

50 René PELISSIER, « Portugal : trois empires perdus », Matériaux pour l’histoire de notre temps
2012/3 (N°107), pages 44 à 53
51 Ibid.
52 Ibid.
53 Tirthankar CHANDA, « Il y a quarante ans, le Mozambique accédait à l’indépendance », RFI,
26/06/2015
54 Ibid.
55 René PELISSIER, « Naissance du Mozambique. Résistances et révoltes anticoloniales (1854-
1918), Politique africaine, 1988, pages 147-148
56 Claude PRUDHOMME, « Mission et colonisation dans les empires espagnol et portugais. Une
globalisation sous-estimée ? », Histoire, monde et culture religieuses 2014/3 (N°31), pages 3 à 6
57 Ibid.

12
est rapporté aux territoires dont il se dit le colon, « peu peuplé, pauvre, empêtré
dans la gestion d’un déficit chronique de ses dépenses publiques » 59 . Le tout fait qu’il
n’a « pas les moyens d’une politique coloniale d’occupation et de mise en valeur des
ressources naturelles » 60 .
Une quatrième raison est le conflit qui l’oppose à l’Angleterre tout au long des
années 1880. Ce conflit porta principalement sur le Congo, que le Portugal convoitait
pour réunir ses deux colonies, le Mozambique et l’Angola. La signature, postérieure
à la Conférence de Berlin, d’un accord délimitant les frontières (20 août 1890) illustre
l’importance qu’avait pris le conflit.
S’il a le record de longévité, c’est que le Portugal est parvenu à surmonter tout ou
partie de ces difficultés. C’est notamment pour palier son manque de moyens que le
Portugal mit en place des « Compagnies à charte », c’est-à-dire des « structures de
droit privé, fonctionnant avec des capitaux exclusivement privés mais jouissant d’une
partie des prérogatives régaliennes » 61 , auxquelles comptait le prélèvement de
l’impôt. En contrepartie, ces compagnies avaient la charge de développer les
infrastructures (routières, ferroviaires, portuaires) et également les écoles et les
hôpitaux. La première fut la Compagnie de Niassa.
La colonisation portugaise connut des violences similaires à celles des autres
colonisations européennes. Vis-à-vis des mozambicains, peuvent notamment être
notées « les pratiques du travail forcé et les formes esclavagistes » 62 .
Puis, comme d’autres pays africains, le Mozambique a connu une guerre
d’indépendance longue et brutale. Elle fait soixante-trois-mille-cinq-cents morts et
s’étend sur dix ans (1964-1974). En comparaison, elle est plus longue de trois ans
que celle d’Algérie et elle représente 25% des pertes causées par celle-ci (250 000
morts).

En conclusion de cette première partie, plusieurs points communs aux colonisations
européennes en Afrique peuvent être relevés.
Le premier est leur longueur, à l’exception des États européens défaits lors des deux
guerres mondiales (Allemagne et Italie).
Le deuxième est la nature de leurs activité : missionnaires, économiques,
logistiques.
Le troisième est leur brutalité, compte tenu des violences de différents types sur les
populations africaines.
Tout ceci tient au fait que les États européens étaient déjà constitués comme des
États-nation. Comme l’explique Friedrich List, « un État-nation viable exigeait la
possession de colonies comme aires d’émigration, comme sources de matières
premières et comme marchés » 63 .

58 Jean-Louis ESCUDIER, « Chapitre VIII. Au cœur de l’empire colonial portugais », CNRS Éditions,
2000, pages 121-141
59 Ibid.
60 Ibid.
61 Ibid.
62 Ibid.
63 Friedrich LIST, Das nationale System der politischen Oekonomie, Iéna, Fischer, 1950, p. 268-269

13
Le quatrième point commun tient à la douleur suscitée par le processus mémoriel,
des deux bords de la Méditerranée. Comme l’explique Marie-Bénédicte Dembour,
nous sommes passés « en quelques décennies d’un contexte idéologique où
dominait l’apologie de l’œuvre coloniale à un contexte qui s’y oppose de manière
systématique » 64 . C’est ce passage d’une idéologie à l'autre, d'un extrême à l’autre,
qu’il s’agit de comprendre afin d’y apporter une réponse permettant le
développement d’une relation euro-africaine apaisée et équilibrée.

Bibliographie

Articles universitaires
BRUENDEL Steffen, « La Namibie et l’Allemagne, une relation postcoloniale »,
Allemagne d’aujourd’hui 2016/3 (N°217), pages 166 à 181 ;
BUCAILLE Laeticia, « Algérie, exiger des excuses de la France », Raison publique,
20/03/2022 ;
CORREALE Francesco et GIMENO MARTIN Juan Carlos, « Sahara occidental :
mémoires coloniales, regards postcoloniaux », Les cahiers d’EMAM, 2015 ;
ESCUDIER Jean-Louis, « Chapitre VIII. Au cœur de l’empire colonial portugais »,
CNRS Éditions, 2000, pages 121-141 ;
64 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Recalling the Belgian Congo, 2000

14
KOSSLER Reinhart, « La fin d’une amnésie ? L’Allemagne et son passé colonial
depuis 2004 », Politique africaine 2006/2 (N°102), pages 50 à 66 ;
LEVET Jean-Louis, « France-Algérie : un futur commun à construire »,
Géoéconomie 2014/2 (N°69), pages 47 à 64 ;
LICATA Laurent et KLEIN Olivier, « Regards croisés sur un passé commun : anciens
colonisés et anciens coloniaux face à l’action belge au Congo », L’Autre : Regards
psychosociaux. Saint-Martin d’Hères : Presses Universitaires de Grenoble, 2005, p.
255 ;
MARTENS Stephan, « Allemagne-Namibie : enjeux d’une réconciliation post-
coloniale », Politique étrangère 2019/3, pages 129 à 140 ;
MEMMI Albert, Portrait du colonisateur, 1957, p. 89 ;
MOHSEN-FINAN Khadija, « Trente ans de conflit au Sahara occidental », IFRI,
janvier 2008 ;
NEXON Thomas, « France-Algérie, 6 octobre 2001 : plus que du football ? »,
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PELISSIER René, « Portugal : trois empires perdus », Matériaux pour l’histoire de
notre temps 2012/3 (N°107), pages 44 à 53 ;
PELISSIER René, « Naissance du Mozambique. Résistances et révoltes
anticoloniales (1854-1918), Politique africaine, 1988, pages 147-148 ;
PRUDHOMME Claude, « Mission et colonisation dans les empires espagnol et
portugais. Une globalisation sous-estimée ? », Histoire, monde et culture religieuses
2014/3 (N°31), pages 3 à 6 ;
TARDY Thierry, « L’Union européenne et l’Union africaine : quelle complémentarité
dans la gestion des crises ? », Revue Défense nationale 2016/7 (N°792), pages 121
à 126 ;
TERRANOVA Giuseppe, « Le contre-exemple italo-libyen », Outre-terre 2009/3
(N°23), pages 363 à 369.

Articles de presse
CHANDA Tirthankar, « Il y a quarante ans, le Mozambique accédait à
l’indépendance », RFI, 26/06/2015 ;
FILONI Chiara, « Fausses réparations et nouvelle colonisation italienne en Libye »,
CADTM, 09/10/2019 ;

15
RADIO FRANCE, « Pourquoi « Tintin au Congo » fait-il encore polémique
aujourd’hui ? », 23/01/2019 ;
STEVIS-GRIDNEFF Matina, The New-York Times, « African and European leaders
meet against backdrop of enduring problems”, 17.02.2022.

Ouvrages
DEMBOUR Marie-Bénédicte, Recalling the Belgian Congo, 2000 ;
LIST Friedrich, Das nationale System der politischen Oekonomie, Iéna, Fischer,
1950, p. 268-269.

Rapports
STORA Benjamin, « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la
guerre d’Algérie », janvier 2021 ;
VEDRINE Hubert, « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle
dynamique économique entre l’Afrique et la France », rapport au ministre de
l’Économie et des Finances, décembre 2013.

Reportages scientifiques
ARTE, “France-Algérie, une affaire de famille », 18/03/2022.

Sites web
https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-africa/