Le décuplement des groupes terroristes et leur instrumentalisation religieuse et nationaliste
La radicalisation religieuse, au Sahel mais pas seulement, s’est imposée comme problématique d’une importance majeure sous l’effet de deux dynamiques : « l’émergence de mouvements islamiques dits « réformistes » » et « l’émergence du salafisme-djihadisme ».
Les mouvements islamiques réformistes sont principalement l’école hanbalite et sa réinterprétation wahhabite.
L’émergence du salafisme-djihadisme est portée par l’école malékite, dominante au Sahel et également par le wahhabisme.
À noter, les « formes de radicalisation prioritairement nationalistes ou religieuses » tendent à « se recouper de plus en plus, surtout dans les États ayant connu un passé colonial ».
La radicalisation trouve notamment un élément d’explication dans les influences extérieures, qui nourrissent l’amertume des populations africaines. Ces influences extérieures peuvent être un pays en tant que tel (la Russie), ou d’une région (le Proche-Orient). Le conflit israélo-palestinien par exemple « nourrit un phénomène de radicalisation ».
1. Le Groupe islamique armé (GIA)
Le GIA nait en juin 1992 en Algérie avec pour ambition de renverser l’État algérien et de le remplacer par un État islamique. Sa thèse est « qu’un État islamique aurait dû germer sur les décombres du colonialisme français » et que cet échec n’est dû qu’au caractère « impie » du régime algérien.
Ses membres sont pour la plupart d’anciens combattants ayant quitté l’Afghanistan à la suite du départ de l’URSS. Ces « combattants islamistes » se dispersèrent entre trois principaux pays (Algérie, Égypte et Soudan) et l’Algérie accueille à elle seule entre six-cent et mille individus sur la période 1986-1989.
Ils sont financés par l’Arabie Saoudite, puis par Oussama Ben Laden.
L’année 1992 marque un tournant en Algérie car les élections législatives sont annulées, à la suite de la victoire des islamistes au premier tour. S’en suit une guerre civile, meurtrière. D’un côté, le gouvernement algérien mène une campagne de « répression acharnée » envers le Front islamique de salut (FIS), parti politique qui débouchera sur la création du GIA. De l’autre, le GIA terrorise la population algérienne. Peut notamment être retenu le meurtre de quatre-cent-douze civils de la région d’Élizane, taillés en pièces, pendant la nuit du 29 décembre 1997. Au total, selon les estimations, « entre cent mille et cent cinquante mille personnes » disparaissent sur la décennie 1990.
Le cas algérien est intéressant à plusieurs titres.
Tout d’abord car il constitue un cas d’enchevêtrement du religieux et du nationalisme. En effet, en Algérie « l’islam est demeuré un pilier identitaire d’une lutte de libération durant les cent-trente-deux années de la colonisation française ». Un des éléments d’explication tient à la période coloniale elle-même, dans la mesure où le système colonial français « distinguait diverses composantes de la population algérienne très largement en fonction de critères religieux ».
À noter que si l’identité religieuse de l’Algérie a contribué à faire monter l’islam radical dans le pays, elle a également fait sa force. La religion a en effet « fourni à des Algériens les instruments critiques envers leur propre société », ce qui se retrouve dans la critique du FLN faite par la société algérienne, ou encore dans le développement des notions de justice et d’équité.
L’intérêt du cas algérien tient également à la critique faite par la communauté internationale au gouvernement algérien. Celui-ci était tenu de mettre fin aux activités du GIA, du fait de la menace que représentait ce groupe pour les autres pays. Les pays limitrophes tels que le Mali, ou voisins dont l’Égypte, sont alors particulièrement touchés par l’arrivée de combattants islamistes.
A ceci s’ajoutent les départs pour l’Afghanistan. Quelques deux-mille-huit-cent ressortissants algériens y rejoignent les groupes d’entrainement d’Al-Qaïda, faisant de l’Algérie « le troisième contingent national par ordre d’importance numérique » (les deux premiers étant l’Arabie Saoudite et le Yémen).
Par ailleurs, le GIA a produit ensuite d’autres groupes dont le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et l’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Des membres du premier seront retrouvés parmi les réseaux terroristes installés en Europe, notamment à Londres.
Le GIA anticipera également « le modèle employé par Daech vingt ans plus tard » (les opérations « projetées »).
L’implication du thème colonial dans le cas du GIA peut également soulever l’intérêt du duo franco-algérien dans la construction d’une politique européenne en Afrique, intégrant nécessairement la lutte contre le terrorisme.
La France fut en effet particulièrement touchée par les attentats commis par le GIA, le mouvement ayant fait le choix de réveiller le sentiment antifrançais dans le but d’obtenir « un assentiment populaire ». A partir de là, la France va subir de plein fouet la campagne du GIA. L’histoire a retenu deux principaux évènements. Le premier est le détournement par quatre membres du GIA du vol Air France 8969 Paris-Alger (décembre 1994). Cette première étape se termine favorablement pour la France car les autorités françaises parviennent à persuader les terroristes de l’insuffisance des réservoirs de carburant pour rallier Paris. L’avion finit par se poser à Marignane, où les équipes du GIGN neutralisent les terroristes, parvenant ainsi à éviter le crash planifié de l’avion dans la tour Eiffel.
La seconde action du GIA, à l’été 1995 ne pourra pas être évitée avec autant de succès : c’est l’attentat à la station de RER Saint-Michel. Elle fera huit morts et cent-dix-sept blessés. Toutefois l’attribution de cet attentat au GIA est indirecte. Son chef, Rachid Ramda, était un stratège d’Al-Qaida. Il dirigea l’attaque depuis Londres. Proche des fondateurs du GIA, il se vanta d’avoir « soufflé l’idée de cibler la France « afin de la conduire à formuler son soutien public au régime algérien » ». Son objectif était derrière « d’unifier la nation islamique autour du jihad en Algérie comme elle s’était unifiée en Afghanistan contre le Soviet ».
A noter qu’à l’échelle internationale, « une partie des soutiens d’Al-Qaïda se montre réticente à l’égard des méthodes ultraviolentes utilisées par le GIA en Algérie ». A ceci s’ajouta le refus du GIA d’ouvrir ses rangs aux combattants non-algériens de Ben Laden, ce qui entraina la création de mouvements dissidents. En cela, le nationalisme jusqu’au-boutisme du GIA illustre les limites qu’il peut représenter puisque la création de mouvements dissidents participa à la perte du GIA.
Pour la relation franco-algérienne, la fin des années 1990 se termine aussi mal qu’elle avait commencé. Peut être retenu le match du 6 octobre 2001, précité, qui peut être lu comme la traduction sportive du sentiment antifrançais, nourri très largement par le GIA.
L’Algérie est venue à bout du GIA. Elle l’a du moins repoussé hors de ses frontières. En cela, la coopération franco-algérienne prend tout son sens dans la lutte contre le terrorisme.
2. Al-Qaïda
Al-Qaïda est créé en 1987 par Abdallah Azzam et Oussama ben Laden. Le premier, Abdallah Azzam, est un professeur de théologie islamiste reconnu, par ailleurs membre des Frères musulmans. Le second, Oussama ben Laden, est un milliardaire, fils d’un magnat de la construction saoudien. Il créé ensuite sa propre base de formation en Afghanistan, destinée à former une élite combattante.
Al-Qaïda s’apparente, comme le GSPC issu du GIA, au salafisme-djihadisme, une des trois formes de radicalisation religieuse (les deux autres étant le wahhabisme-djihadisme et le salafisme-wahhabisme). Il est le seul à venir principalement d’Arabie Saoudite. Il se caractérise notamment par son choix de sortir du cadre étatique, pour le dépasser et/ou le contester, en adoptant une « approche répressive » qui entraine nécessairement « le basculement dans la violence ».
La particularité d’Al-Qaïda est double.
Tout d’abord, le mouvement est, comme le rappelle Hugo Micheron, l’un des deux groupes de djihadisme structurant les mouvements djihadistes actuels. Le second est l’État islamique (Daech).
Al-Qaïda a fait naitre beaucoup de ramifications dont :
Mouvements qui ont eux-mêmes fait naître d’autres groupes. Le MUJAO est par exemple en partie à l’origine de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS).
Multiplication des fronts, multiforme des approches de combat mais aussi de ralliement des populations africaines : cette démultiplication des groupes terroristes complique nécessairement la tâche aux États africains et à la communauté internationale dans leur lutte contre le terrorisme. Le Niger par exemple a trois fronts en même temps :
Par ailleurs, Al-Qaïda est le groupe terroriste responsable des attentats du 11 septembre et par conséquent, il est à l’origine de l’intervention américaine telle qu’on la connait en Afrique.
A la suite des attentats du 11 septembre, le gouvernement Bush déclare « une guerre internationale contre le terrorisme », faisant de la lutte contre le terrorisme le nouveau cœur de la politique étrangère américaine. Ceci représenta en effet un changement de paradigme majeur car l’administration Bush était arrivée au pouvoir avec de « grandes réticences quant à une implication militaire américaine directe dans les opérations de paix sur le continent africain ». Elle a préféré ne pas répondre à la demande de la communauté internationale, notamment dans le cas du Libéria, qui connut une première guerre civile en 1989. Les États-Unis se contentèrent d’un soutien logistique à l’opération menée par le Nigéria.
Dans d’autres cas, les États-Unis se sont reposés sur l’intervention des Nations unies, comme en République démocratique du Congo, ou encore sur celle des anciennes puissances coloniales, la Grande-Bretagne en Sierra Leone notamment.
A la suite des attentats du 11 septembre, les États-Unis s’engagent « personnellement » et pleinement.
L’intervention américaine en Afrique se caractérise d’abord par une division du continent africain en quatre sphères :
Toutefois, l’intervention américaine en Afrique a des constantes, entre l’avant et l’après 11 septembre, notamment son objectif de renforcement des armées africaines afin qu’elles assument « la plus grosse part des activités contre-terroristes ». Dans cette perspective le Pentagone décide de trois programmes militaires :
3. L’État islamique (EI)
L’EI est aussi appelé « Daech » par les occidentaux, mais la formation rejette ce second nom. Il appartient au salafisme-djihadisme. Il est créé en 2006 en Irak par Saddam Hussein, soutenu par les cadres de l’armée irakienne.
Du point de vue européen, la responsabilité de la création de l’EI peut être attribuée aux États-Unis. En effet, en 2002, le gouvernement Bush accuse Saddam Hussein, « à travers une campagne de désinformation », de disposer d’armes de destruction massive et de vouloir les mettre à la disposition d’Al-Qaïda, devenu l’ennemi officiel des États-Unis l’année précédente.
Exceptée la Grande-Bretagne de Tony Blair, les États européens refusent de suivre les États-Unis.
Sur le premier trimestre 2003, près de trois-mille manifestations ont lieu à travers le monde pour dénoncer l’intervention américaine en Irak. Elles rassembleront près de trente-cinq millions de personnes. C’est en Europe qu’ont lieu les principaux rassemblements. Rome connait à cette occasion ce qui est restée la plus grande marche pacifique de l’histoire (trois millions de personnes).
A l’ONU, la France représentée par Dominique de Villepin s’oppose aux États-Unis, soutenue par l’Allemagne et la Russie.
Malgré cela, le 20 mars 2003, les États-Unis lancent l’opération Shock and Awe (« Choc et effroi »). L’unité européenne ne résiste pas : plusieurs États européens suivent le géant américain, dont la Belgique, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, le Danemark et les Pays-Bas.
Les États-Unis et leurs alliés viendront à bout de Saddam Hussein en trois semaines. Leur occupation de l’Irak ensuite sera le début de la fin car elle déstabilisera durablement le pays. À titre d’exemple, les États-Unis banniront les fonctionnaires encartés au parti Baath (créé pour unifier les pays arabes), ce qui priva les administrations « des ressources nécessaires pour gouverner », en plus de priver les familles de revenus, participant ainsi à l’effondrement de l’économie irakienne.
Plus tard, en 2007, les États-Unis emploieront en Irak « leur Wagner », c’est-à-dire leurs mercenaires privés chargés de faire le « sale boulot ». Il s’agit de Blackwater.
Par ricochet, l’intervention américaine en Irak participera à la guerre syrienne cinq ans plus tard, dans la mesure où les anciens officiers du renseignement de Saddam Hussein constitueront une bonne partie des membres du haut conseil stratégique et militaire installé en Syrie.
Par ailleurs, l’intervention américaine a largement nourri le sentiment anti-occidental en Irak, puis dans la région. Peut être retenue l’attaque du 19 août 2003 sur le siège des Nations unies à Bagdad, qui reste encore à ce jour la plus violente attaque perpétuée contre l’ONU. Vingt-deux personnes trouvent la mort, dont Sergio Vieira de Mello, représentant spécial de l’ONU.
En 2006, après la mort de Zarqaoui, chef d’Al-Qaïda en Irak tué par les Américains, est créé l’État islamique d’Irak, qui évolue en 2010 vers l’État islamique d’Irak et du Levant, alias Daech pour les occidentaux.
Bien que situé sur un autre continent, l’EI participera au développement du terrorisme sur le continent africain, de trois manières.
Tout d’abord en étant à l’origine de ramifications en Afrique. L’une d’entre elle est la Province de l’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (PAOEI). Il nait en 2015 puis se scinde en deux groupes dès 2016, compliquant encore plus la tâche aux États africains, dans la mesure où les deux nouveaux groupes ont des approches différentes, en plus de s’affronter occasionnellement entre eux. La population se retrouve entre tous ces feux, en plus de subir l’auto-attribution des fonctions régaliennes de ces groupes terroristes (prélèvement de l’impôt, justice, exploitation des ressources naturelles comme l’accès au pâturage).
Plus encore, l’EI participe au terrorisme en Afrique du fait de ses liens avec Boko Haram. Ceci fut permis par le rejet de Boko Haram par Al-Qaïda, qui le qualifiait de « secte ». Le chef de Boko Haram, Mohamed Yusuf, prête allégeance à l’EI le 8 mars 2015.
Les deux groupes ont en commun la haine de l’Occident et la volonté de rétablir un califat. La PAOEI n’est qu’une ramification de Boko Haram.
Enfin, l’EI participe au développement du terrorisme en Afrique en formant les djihadistes présents sur le continent africain. Les guerres d’Irak et de Syrie constituent deux occasions prises par l’EI pour renforcer ses groupes d’entrainement.
4. Boko Haram
Boko Haram appartient aussi à l’idéologie du salafisme-djihadisme. Il est créé en 2002 par Mohamed Yusuf, prédicateur islamiste nigérian. Celui-ci est tué en 2009. Boko Haram s’affilie en 2010 à Al-Qaïda, puis à l’EI.
A la suite des scissions successives, dont celle de 2016 précitée et de l’allégeance prêtée par une partie d’entre elles à l’EI, il est difficile de continuer de parler de Boko Haram. Ces groupes s’affrontent aujourd’hui principalement dans la région du lac Tchad.
A noter que si l’action de Boko Haram déborde sur les pays voisins du Nigéria, l’essentiel de l’action reste concentré au Nigéria lui-même, du fait des origines de son créateur et du manque de moyens du groupe pour aller au-delà.
Parmi les pays fragilisés par Boko Haram, le cas du Niger doit retenir une attention particulière.
Ce pays enclavé a sept voisins, tous touchés par le terrorisme, hier et/ou aujourd’hui : l’Algérie, la Libye, le Tchad, le Nigéria, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali.
L’un de ses fronts est celui du lac Tchad, où il affronte les résidus de Boko Haram.
Malgré cela, le Niger apparait comme « un relatif pôle de stabilité pour la région ».
Cette stabilité du Niger s’explique pour deux raisons.
Tout d’abord, car le Niger a joué la carte française, dans l’objectif d’assurer sa stabilité. Mahamadou ISSOUFOU, président du Niger de 2011 à 2021, est resté un fidèle allié de la France. En 2021 son bras droit est élu, Mohamed BAZOUM, ce qui permet d’assurer la continuité du pouvoir. Ceci a permis à la France d’installer au Niger plusieurs de ses bases, bases qui ont été renforcées lorsque l’opération Barkhane a été chassée du Mali.
Niamey, la capitale du Niger, joue également un rôle stratégique dans la lutte contre le terrorisme, car située à quatre-cent kilomètres de Gao (Mali) et à proximité de la région des trois frontières.
Le Niger a également joué la carte européenne. Depuis 2015, l’UE a externalisé le contrôle de ses frontières au Niger (via un centre de tri), qui refoule désormais les candidats à la frontière.
A noter que l’Algérie a construit un mur de sable à sa frontière avec le Niger, afin de ne pas subir les contrecoups de cette politique. Ceci a pour inconvénient de limiter les trafics par cette frontière, à l’histoire fructueuse, mais a permis à l’Algérie de se protéger.
Le tout fait que le Niger est un « allié précieux pour les Occidentaux dans cette région chaotique ».
Pour cette raison, la France et l’UE ont tout intérêt à intégrer pleinement le Niger dans leur politique africaine, encore plus depuis le coup d’État de juillet 2023 (26-28 juillet). Ce dernier représente un risque majeur pour l’UE de perdre cet allié, qui connait les mêmes problèmes que ses voisins : la pauvreté, les problèmes sahéliens (climatiques et migratoires), la multiplication des fronts avec les groupes djihadistes et la fragilité de son système démocratique.
Les deux menaces identifiées aujourd’hui sont le djihadisme et la progression de Wagner.
Le 5 août 2023, le ministre de la Défense français, Sébastien LECORNU, a déclaré : « Ce putsch vient fragiliser la lutte contre le terrorisme dans la zone sahélienne ». La prise de conscience du problème est à questionner, tout comme l’action européenne immédiate qui doit suivre.
Un point positif dans la lutte contre Boko Haram doit être souligné et tient à la réaction des États africains.
En 1994, l’UA créée la Force multinationale mixte (FMM). Elle est chargée de lutter contre la criminalité et le banditisme, sous l’égide de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT). Elle se compose des armées béninoises, camerounaises, nigériennes, nigérianes et tchadiennes pour un effectif global de huit-mille-sept-cent hommes.
La FMM reste active dans la lutte contre les résidus de Boko Haram, dans la région du Lac du Tchad. S’appuyer sur elle et la soutenir pourrait être un autre aspect de la politique européenne en Afrique, notamment dans l’objectif d’éviter la contagion djihadiste au Niger.
5. Le cas du Mali
« Les États-Unis n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. » cette phrase appliquée aux États-Unis par Henry Kissinger résume notamment l’intervention américaine au Mali.
Fidèle à sa politique pré-2001, la puissance américaine laissa la France gérer la situation malienne, jusqu’à 2012.
En 2012, le Mali connait un coup d’État majeur, qui plonge le pays dans une guerre civile dont l’issue n’est toujours pas d’actualité. Les affrontements se font initialement entre l’État malien et les Touaregs du nord du pays. Au conflit se sont ajoutés a minima deux groupes djihadistes : le GSIM et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Le GSIM est affilié à Al-Qaïda et l’EIGS, à l’EI. Aujourd’hui, les Forces armées maliennes (FaMa), qui sont l’armée régulière du Mali, contrôlent moins d’un tiers du territoire, le sud du pays, qui comprend Bamako. Le nord et le centre sont contrôlés par le GSIM et l’est par l’EIGS.
Les raisons de la naissance et de la persistance du conflit sont de nature structurelle. Une première raison est la difficile construction de l’État malien pour les raisons pré-expliquées. Une deuxième est le conflit ancien avec les Touaregs au nord.
Une troisième tient de la conséquence des deux premières. Les fragilités structurelles du Mali ont en effet conduit la région du nord malien à être le réceptacle de quasiment toutes les crises régionales. La chute du général Kadhafi par exemple, a conduit les combattants Touaregs maliens à se réfugier au nord du pays. Plus largement, le nord du Mali a servi de base de repli pour tous les « fuyards ».
La France a mené successivement les opérations Serval (2013-2014) et Barkhane (2014-2022). Si les résultats sont souvent l’objet de critiques sur la scène internationale, en particulier de la Russie, il convient d’équilibrer le propos en constatant les réussites des opérations, notamment celles de Barkhane. Pour prendre un exemple, Barkhane jouait un rôle de premier plan vis-à-vis du G5 Sahel, en tant que lien entre les armées nationales des pays membres. Ceci permettait notamment d’apaiser les points de tension, dont ceux relatifs au contrôle des frontières, qui sont des objets de réticence importants notamment pour les pays du G5 Sahel car touchant directement à leurs fonctions régaliennes. Or, le contrôle des frontières joue un rôle central dans la lutte contre le terrorisme, ce qu’illustre notamment le choix algérien de construire une frontière de sable avec le Niger.
Comme vu plus haut, le G5 Sahel a été « bloqué » par l’ONU, puis par ricochet par l’UA. Une des questions auxquelles nous devrons répondre sera donc la suivante : en souhaitant garder son leadership en matière de lutte contre le terrorisme, les États-Unis continuent-ils de jouer la « carte française » au Mali et plus largement au Sahel ? L’intérêt de cette question peut être renforcé par la décision des Nations Unies mettant fin à la MINUSMA au Mali, précitée.
Cet élément ainsi que la politique russe en Afrique ne font que renforcer la nécessité d’une politique africaine de l’UE en Afrique.
Le Mali doit également lutter avec le Haut conseil islamique du Mali (HCIM). Il s’agit d’un groupe dit « réformiste » faisant partie des groupes les « plus réceptifs à l’idéologie véhiculée par les groupes djihadistes ». Il rassemble les musulmans de toutes les tendances au Mali et bénéficie d’une représentativité nationale. En cela, le HCIM constitue une prédisposition locale supplémentaire à la diffusion du djihadisme au Mali.
A noter que le HCIM a joué « un rôle de médiateur » entre les groupes djihadistes lorsqu’ils occupaient le nord du pays en 2012. Le HCIM est très controversé, une autre raison étant qu’il a refusé de condamner la destruction des mausolées par les groupes djihadistes. Ses soutiens l’expliquent par le refus de se mettre à dos l’aile salafiste de leurs partisans, et également les groupes djihadistes eux-mêmes, avec lesquels le HCIM « estompait négocier ».
Les représentants du HCIM se sont prononcés sur l’illégitimité des groupes djihadistes occupant le nord du pays. Cette décision est également controversée car le document conclut que l’appel de ces groupes au djihad « n’apporte rien de bon aux musulmans ». Autrement dit, il peut s’agir de s’opposer à la forme religieuse de ces groupes, pour privilégier la leur.
Ceci peut nous inviter à une autre question, relative au parallèle entre le HCIM et le GIA, les deux étant des menaces internes aux pays, de nature religieuse, qui plus est de la même religion, bien que différentes notamment en raison de leur situation géographique.
Bibliographie
Articles universitaires
CILLIERS Jakkie, « L’Afrique et le terrorisme », Afrique contemporaine 2004/1 (N°209), pages 81 à 100 ;
KOHNERT Dirk, « Russia and the rise of Islamic terrorism in Sub-Saharan Africa”, GIGA Institute for African Affairs, Hamburg, 31/05/2022 ;
LACROIX S., « Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en question », Revue des mondes musulmans de la Méditerranée, juillet 2008 ;
PELLERIN Mathieu, « Les trajectoires de radicalisation religieuse au Sahel », IFRI, février 2017 ;
SCHRAEDER Peter J., « La guerre contre le terrorisme et la politique américaine en Afrique », Politique africaine 2005/2 (N°98), pages 42 à 62.
Ouvrages
MICHERON Hugo, La colère et l’oubli. Les démocraties face au djihadisme européen, 2023.
Reportages scientifiques
ARTE, « Coup d’État au Niger : une aubaine pour les mouvements djihadistes en Afrique », 28 minutes, 08/08/2023 ;
ARTE, « Niger : une fragile stabilité », Le dessous des cartes, 15 avril 2023.