Vers une agriculture africaine résiliente
Quatre raisons africaines font de l’agriculture une priorité.
La première est la croissance démographique, particulièrement forte, dans les pays africains. D’ici 2030, le continent africain comptera une population de près de deux milliards d’individus.
En découlent différents enjeux auxquels comptent une population plus nombreuse à nourrir, une pression accrue sur les ressources, des enjeux d’emplois en raison de la jeunesse de cette population.
La deuxième est d’ordre environnemental. Les agricultures africaines privilégient « les pratiques de culture extensive », des pratiques qui ne sont pas durables dans le contexte environnemental du continent.
La troisième est de nature sécuritaire. Les conflits engendrés par une alimentation insuffisante sont divers. Ce peut être des conflits locaux, qui découlent de l’augmentation de la pression sur les ressources. Ce peut également être des conflits nationaux, comme entre l’Égypte et l’Éthiopie, qui là encore découlent de l’augmentation de la pression sur une ressource, dans ce cas précis le Nil.
La quatrième est de nature organisationnelle. La baisse de la productivité agricole (causée notamment par les pratiques avant tout extensives) engendre une augmentation de l’exode rural. Ceci a des conséquences économiques et sociales avant tout négatives : une hausse des prix alimentaires, une augmentation des activités informelles, la dégradation des conditions de vie des habitants, etc. S’ajoutent les effets ricochets, car « la hausse des prix alimentaires pourrait favoriser l’intensification », ce qui entraine un cycle « infernal ». Comme l’explique Jean-Marie Cour, « les conflits, la pauvreté et la désertification sont en grande partie la conséquence de la mauvaise gestion passée du peuplement ».
L’agriculture africaine connait une situation paradoxale.
D’un côté, le continent dispose des atouts pour devenir le « premier grenier du monde » :
De l’autre, les pays africains n’ont jamais autant importé de produits alimentaires qu’aujourd’hui. Le premier est le blé et également ceux issus de sa transformation.
En réponse à ces enjeux, le continent connait une multiplication d’initiatives individuelles. Le Bénin est en cela un exemple.
Une première initiative béninoise s’appelle « AgroBoot Camp ». Il s’agit d’une école de formation développée par Tanguy Gnikobou. Économiste de formation, ce Béninois propose une formation en agroécologie pour un montant de vingt-cinq-mille francs CFA. Les élèves suivent le développement de soixante cultures différentes, apprenne à créer leurs propres outils (moins chers que dans le commerce et plus respectueux de la terre), utilisent des herbicides naturels (comme le moucouna).
Une deuxième initiative béninoise est l’école Songhaï. En plus du Bénin, l’école est présente au Nigéria et au Libéria, ce qui lui permet de former mille-six-cents étudiants par an. Elle dispense également des cours d’agroécologie avec un apprentissage basé sur la polyvalence : l’élevage, la culture des fruits et légumes, la boulangerie.
Une troisième initiative béninoise est l’Ecolojah. Il s’agit d’une école primaire qui enseigne l’agroécologie. Tenue par ceux qui se font appeler « Mère Jah » et « Père Jah », elle existe depuis vingt ans et a pour principal objectif d’offrir une éducation aux enfants défavorisés des milieux ruraux. Reconnue par le ministère de l’Éducation nationale, elle complète le programme officiel par deux types d’enseignement :
Le succès des initiatives individuelles agricoles se mesure également au développement d’exploitations prestigieuses.
En Zambie, Maria Zaloumi est devenue « la principale productrice de tomates de son pays ». Cette femme a un parcours atypique : ancienne infirmière en Australie, elle est partie avec un capital de trente-mille dollars australiens et l’exploitation d’un demi-hectare de son père. Au fil des années, elle l’a étendue sur treize hectares, ce qui lui permet de produire deux-cent-cinquante caisses de tomates/jour. Surnommée « Zfarmer », elle est aujourd’hui présidente de l’Union nationale de Zambie pour les fruits et légumes.
Elle a pour perspectives de développer maintenant la production d’oignons et également mille emplois pour répondre à la situation de fort chômage que connait son pays.
Au Nigéria, Yemissi Iranloye est surnommée « la reine du manioc ». Elle tient son surnom de son entreprise, Psaltry, qui contient des terres agricoles et une usine de transformation du manioc.
Elle a aujourd’hui pour clients Nestlé et Unilever. Son entreprise représente en chiffres :
Au Rwanda, Diego Twahirwa dirige la première exploitation de piments de son pays. Sa force est d’être un très bon commercial. Il exporte aux États-Unis et en Europe (France, Belgique, Angleterre, Pays-Bas, Suisse) mais son principal partenaire est la Chine. En 2020, il a signé un accord avec une société chinoise pour la fourniture de cinquante-mille piments/an pendant cinq ans. Cet accord lui a permis :
Au Cameroun, Loïc Kamwa est considéré aujourd’hui comme un leader en production de céréales et de volailles du continent. Formé aux États-Unis, il a commencé avec une exploitation de 4 hectares. Aujourd’hui, la seule partie de son exploitation consacrée aux céréales s’étend sur une dizaine d’hectares.
Depuis 2018, il utilise également internet (YouTube) pour développer une école de formation. Ses élèves viennent de toute l’Afrique.
D’autres très belles réussites sont à noter sur le continent, dont celle de Nahondomo Palenfo, au Burkina Faso, qui est parti d’un hectare pour arriver aujourd’hui à quatre-vingt-treize hectares (soixante-sept hectares pour le manioc, dix-sept hectares pour le riz, sept hectares pour le maïs, deux hectares pour l’arachide). S’ajoutent les réussites agricoles de personnalités éminentes, auxquelles comptent l’agro-industriel nigérian Aliko Dangote ou encore l’ancien général et président nigérian Olusegun Obassanjo, à la tête de la première ferme de volailles du continent.
Dans ces parcours individuels, quatre éléments sont à noter.
Le premier est la formation. Elle est déterminante pour permettre le bon développement d’une exploitation.
Le deuxième est l’accès à la propriété et/ou à la location.
Aujourd’hui, 90% des terres d’Afrique subsaharienne ne font pas l’objet d’une inscription au cadastre. Obtenir un titre de propriété est indispensable pour s’assurer de conserver sa terre. Se sont développées des agences immobilières, comme Africa Immo au Bénin, qui permettent aux jeunes d’acheter à crédit des parcelles. Le secteur immobilier africain a compris les enjeux liants agriculture et valorisation de la jeunesse et opère sur ce plan « une petite révolution ».
A noter que l’accès à la propriété n’est pas indispensable. Tanguy Gnikobou, co-directeur de l’AgroBoot Camp, est également le fondateur des « Jardins de l’espoir », une exploitation comprenant six fermes dont cinq qu’il loue à des familles. Il parle néanmoins de « parcours du combattant » pour caractériser l’accès au foncier pour les jeunes entrepreneurs agricoles.
Le troisième tient à la commercialisation. Les qualités personnelles des entrepreneurs agricoles ont leur importance mais elles ne sont pas suffisantes. Le succès de Diego Twahirwa au Rwanda a également été permis par les bonnes relations diplomatiques entre son pays et la Chine. Ce qui fait un point sur lequel l’UE peut accentuer ses efforts.
Le quatrième est le choix des cultures développées. Il peut être fait à la lecture de :
Le manioc par exemple, coche les quatre cases :
Dans le contexte actuel de l’agriculture africaine, demandent à être prises en compte les conséquences de l’urbanisation croissante. Pour renforcer la sécurité alimentaire des villes africaines, se développent les « Systèmes d’approvisionnement et de distribution alimentaire » (SADA). Ils sont d’une absolue nécessité pour « faire face à l’expansion de la demande urbaine et à l’extension de l’urbanisation ».
Les SADA impliquent une intervention de l’État.
Une libéralisation complète poserait des « contraintes d’ordre culturel et règlementaire ». C’est le cas en Algérie et en Tunisie, en raison de leur culture administrative et entrepreneuriale inspirées du modèle français.
Par ailleurs, « la libéralisation des prix a entrainé une flambée » ; or, l’accès monétaire aux produits « constitue le principal obstacle à la sécurité alimentaire ». Le secteur productif a profité un temps de cette augmentation des prix, pour ensuite en subir l’ « effet boomerang » car la hausse des prix a conduit à une surproduction, qui a à son tour tirer les prix vers le bas.
La libéralisation a ainsi conduits un certains nombres d’acteurs économiques à « adopter des stratégies de survie », auxquels compte les activités informelles en raison de « carence de règlementations ou de leur application ».
Ceci conduit une partie des universitaires à conclure que « l’ouverture totale des pays de la région <Afrique de l’Ouest> au marché mondial n’est pas favorable à la sécurité alimentaire de ces populations à moyen terme et à long terme ».
Le développement des SADA par les États prend alors le nom de « planification alimentaire ».
Si cette dernière produit de nombreux effets positifs, dont la plus importante est probablement de « préserver une capacité d’achat aux populations », elle connait elle aussi ses limites. Dans certains États, les gouvernements utilisent la planification alimentaire pour éviter de mettre en œuvre des « politiques économiques spécifiques », or elle ne peut pas les remplacer. Par ailleurs, la planification alimentaire « a le désavantage certain d’instaurer un biais en faveur des urbains, au détriment des ruraux » : les subventions alimentaires ne permettent pas d’assurer l’autosuffisance ; et par ailleurs elles détournent les investissements publics dans l’agriculture. Ceci a pour conséquence l’augmentation des importations, aspect cité en introduction de cette partie comme composante du paradoxe agricole africain.
Bibliographie
Articles universitaires
Jean-Marie COUR, “Peuplement, urbanisation et développement rural en Afrique sub-saharienne : un cadre d’analyse démo-économique et spatial », Afrique contemporaine 2007/3 (N°223-224), pages 363 à 401 ;
COUTY Philippe, « Risque agricole, périls économiques », in Michel Eldin, Pierre Milleville (dir.), Le risque en agriculture, IRD Éditions, 1989 ;
PADILLA Martine, « La sécurité alimentaires des villes africaines : le rôle des SADA », Séminaire sous-régional FAO-ISRA « Approvisionnement et distribution alimentaires des villes de l’Afrique francophone », 17 avril 1997.
Reportages télévisés
AgroSpace Group, « Agriculture : les 7 agriculteurs les plus influents en Afrique », 15 octobre 2021 ;
AgroSpace Group, « Agriculture : les 7 cultures les plus rentables en Afrique », 2 janvier 2021 ;
Canal +, AgroBootCamp », 15 octobre 2019.