La réponse étatique, populaire et internationale au terrorisme dans les pays africains
1. La riposte des États africains au terrorisme
La Convention de l’UA contre le terrorisme (article 4-2) impose aux États africains de veiller à ce que « leur territoire ne soit pas utilisé comme base pour la planification, l’organisation ou la commission d’actes terroristes sous quelque forme que ce soit ».
Individuellement, les États africains ont dans leur grande majorité failli dans leur mission. L’Algérie peut être considérée comme une exception, dans la mesure où elle est parvenue à repousser le GIA hors de ses frontières.
Un cas plus ambigu est celui de la Mauritanie. L’absence de violence dans ce pays a conduit à deux types de conjectures.
La première est que la Mauritanie aurait trouvé la méthode qui corresponde à sa situation. Certains spécialistes structurent sa méthode en quatre aspects :
Toutefois, « la thèse la plus répandue est que la Mauritanie aurait conclu un « pacte de non-agression » (RFI 2016) avec les terroristes », ce qui lui aurait permis d’être épargnée. Cette accusation est rejetée par le gouvernement mauritanien, qui explique son succès par l’implication de sa population au sein de son dispositif de renseignement et également via des « unités méharistes » chargées de faire des patrouilles dans les zones inaccessibles ou reculées.
Ces dispositifs impliquant la population existent chez ses voisins, notamment au Mali, la différence étant que les autres États ne maitrisent pas l’implication de leur population, qui mènent des actions similaires à celle de la population mauritanienne, mais de manière autonome et plus difficilement lisible de l’extérieur.
En d’autres termes, les États africains ont échoué dans leur lutte contre le terrorisme, du fait de leur écroulement. Incapables d’assurer les fonctions régaliennes, à commencer par celle de la sécurité, les États perdent toute légitimité aux yeux de la population qui opte pour des solutions de survie allant de l’auto-défense au ralliement aux groupes terroristes leur assurant la sécurité leur manquant.
L’action des organisations africaines n’est guère plus convaincante. Celle de l’UA est peu effective, tout comme celle de la Cédéao. Cette dernière fut, encore au Niger au lendemain du putsch, très largement critiquée. Elle a prétendu imposer un ultimatum au Niger, lui imposant de rétablir sa démocratie, ce à quoi les soutiens du putsch lui ont rappelé son absence antérieure pour protéger les nigériens et aider le pays à lutter contre le terrorisme. La Cédéao a ensuite annoncé une intervention, sans l’exécuter, finalisant ainsi sa perte de crédibilité.
2. Une action populaire qui vise à pallier les carences des États africains
Dans ce contexte, les populations africaines s’organisent pour s’auto-défendre. Comme l’explique Ladislas NZE BEKALE, « la sécurité comme politique publique cesse d’être une fonction exclusivement régalienne exercée par des représentants ou les détenteurs de l’autorité de l’État ».
L’Organisation de l’unité africaine (OUA), prédécesseur de l’UA, avait signé en 1990 la Charte africaine de la participation populaire, afin de préciser les contours démocratiques que devaient suivre les États africains signataires dans leur développement.
L’un des points décidés porte sur « les initiatives que le peuple estime nécessaires ou vitales en vue d’une amélioration ou de la protection de ses conditions de vie ». Elle offre ainsi un cadre à la participation des populations africaines dans la lutte contre le terrorisme.
Les populations africaines mobilisent trois moyens d’autodéfense contre le terrorisme.
Le premier tient aux mécanismes traditionnels et religieux.
Au Burkina Faso par exemple, « les populations ont créé des groupes d’autodéfense, les Koglwéogo, pour s’occuper elles-mêmes de leur sécurité. De nombreux groupes Koglwéogo ont été mis en place après l’insurrection populaire dans certaines régions du Burkina Faso afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes ».
En Guinée, les communautés font davantage confiance aux chefs religieux qu’à l’État pour assurer leur sécurité. A la question « quels sont les acteurs susceptibles de participer efficacement à la prévention de l’extrémisme violent ? », les réponses ont été les suivantes :
Ladislas NZE BEKALE en conclut que « le combat contre le terrorisme ne peut être gagné sans les pouvoirs alternatifs ou traditionnels, religieux ou non, plus proches des populations et mieux enracinés dans les territoires que les représentants de l’autorité de l’État ».
Le deuxième moyen d’autodéfense sont les initiatives citoyennes.
Au Nigéria, les citoyens de la ville de Maiduguri se sont organisés début 2013 pour se protéger de Boko Haram. Leur action consistait à « chercher, attaquer et tuer des membres de Boko Haram ».
Ces groupes d’autodéfense se retrouvent largement à l’étranger et notamment au Niger, au Cameroun, au Tchad.
Ils sont bénéfiques aux États à deux titre : ils permettent de recréer du lien entre l’État et sa population ; et ils ralentissent l’action des groupes terroristes.
Le troisième moyen d’autodéfense sont les Organisations de la société civile (OSC). Elles se distinguent des initiatives citoyennes par leur caractère institutionnel (elles sont recensées par le West Africa Civil Society Institute) et également par leurs objectifs, qui commencent à la prévention.
Les OSC sont plus efficaces que l’État et que les initiatives locales.
Trois directions peuvent être suivies pour améliorer leur efficacité :
3. La propagande anti-occidentale de la Russie en Afrique : une action politique sous-estimée par la France et l’Europe
Une première lecture de la politique russe en Afrique donne l’image d’une Russie allant dans le sens occidental, c’est-à-dire le soutien des États africains dans leur lutte contre le terrorisme. C’est le cas notamment au Mozambique où, depuis 2019, la Russie livre du matériel au gouvernement mozambicain pour lutter contre l’EI et Al-Shabaab.
Toutefois, le matériel n’arrive pas seul : si l’on reste sur le cas mozambicain, il est arrivé avec des mercenaires, en plus d’être livré également aux insurgés de la province de Cabo Delgado.
Comme tout État, la Russie joue la carte de ses intérêts. Or, les intérêts russes sont de nature énergétique. Pour s’implanter au Mozambique, la Russie avait besoin de bases militaires pour assurer la protection de ses futures compagnies de pétrole et de gaz, ce qui l’a conduit à soutenir également les insurgés de la province de Cabo Delgado, du fait de l’incertitude du débouché des combats au nord du pays.
Puis, la Russie dut affronter la concurrence française et notamment la compagnie Total Énergies. Pour franchir ce second obstacle, la Russie fait traditionnellement appel au groupe Wagner et également aux médias russes, dont Russia Today et Sputnik ; et enfin à l’Agence de recherche internet (IRA). Cet arsenal permet à la Russie de mener une propagande de « fausses nouvelles » contre l’Occident. Comme l’explique Hugo MICHERON, il y a sur ce plan un véritable « changement d’époque », « très insuffisamment pris en compte » à ce jour par les puissances occidentales, et notamment européennes.
Wagner, et le reste de l’arsenal russe, ne lutte pas contre les groupes djihadistes.
En témoigne son ciblage des anciennes colonies françaises et portugaises qui pourraient, du point de vue russe, « être plus facilement renversées ».
En témoigne également le sommet Russie-Afrique, notamment celui de Sotchi (2019), où là encore, la Russie a tenu un discours officiellement anti-djihadisme. Si la lutte contre le djihadisme est aujourd’hui le principal outil de légitimation de l’action russe en Afrique, la Russie cherche en réalité à rallier les États africains en se positionnant comme leader. Peuvent être retenus à ce titre les votes des États africains à l’ONU, condamnant la guerre de Russie en Ukraine : dix-huit États africains se sont abstenus, dont le Mali et le Mozambique.
En témoigne encore la multiplication des fausses nouvelles au Mali et au Niger prétendant que la France arme les terroristes. Ceci participa largement à fragiliser Barkhane. Pour se faire, la Russie utilise notamment l’outil vidéo dénonçant le « Français impérialiste », sous les traits d’un squelette, d’un rat ou d’un serpent.
Le message est à chaque fois le même : Wagner est le vrai allié des populations africaines. Et les résultats sont probants. Au Mali par exemple, des manifestations se sont tenues pour demander l’intervention de Wagner, à la place de l’action française, jugée inefficace.
Pour autant, sur le terrain, au Mozambique comme au Mali, « l’implication du groupe Wagner pour résoudre le conflit a aggravé le problème au lieu de le résoudre ». Ceci s’explique par le fait que la Russie (le groupe Wagner) ne se soucie pas du contexte socio-politique, que comme les États-Unis avant elle, elle n’est pas très regardante quant à la nature démocratique des régimes qu’elle soutient, l’objectif étant la défense de ses intérêts économiques.
Dans ce contexte, l’urgence européenne va à la déconstruction du discours russe. Il en va derrière de l’influence européenne en Afrique.
Pour conclure cette partie, il est bon de rappeler que les États africains sont les premières victimes des groupes terroristes. Sur la seule période 2021-2023, pour les trois seuls pays Niger, Mali, Burkina Faso, les groupes djihadistes ont tué près de quarante-mille personnes et causé le déplacement de trois millions d’autres.
Si le terrorisme international – tel que décrit – ne cesse de progresser sur le continent africain, le terrorisme pratiqué par « des mouvements rebelles (…) mais aussi des forces gouvernementales » occupe une place encore plus importante. Le terrorisme en Afrique peut en cela être qualifié « d’hybride ». Par conséquent, la lutte euro-africaine contre le terrorisme doit donner toute sa place au terrorisme dominant, à savoir le local.
Bibliographie
Articles universitaires
KOHNERT Dirk, “Russia and the rise of Islamic terrorism in Sub-Saharan Africa”, GIGA Institute for African Affairs, Hamburg, 31/05/2022 ;
NZE BEKALE Ladislas, « Les dynamiques d’organisation de la participation populaire à la lutte contre le terrorisme en Afrique », Res Militaris, vol. 11, n°1, hiver/printemps 2021 ;
TOURE Jabir, “Les opérations francophones de lutte contre le terrorisme : l’exemple du G5 Sahel », Revue internationale des francophonies, 2021.
Reportages scientifiques
Arte, 28 minutes, « Coup d’État au Niger : une aubaine pour les mouvements jihadistes en Afrique », 8 août 2023.