Une demande identitaire des pays africains aux pays européens
La demande identitaire part du constat suivant : la période coloniale a été marqué par une influence occidentale sur les pays africains. Cette influence commence par la langue, vecteur de la pensée, de la philosophie, de la vision du monde du pays. Elle s’étend ensuite à « tout ce qui touche à la vie » : l’habillement, la monnaie, la religion, la conception de la justice, la cuisine, les techniques de construction, l’éducation, etc.
La volonté de ces populations est de définir ce qui est « leur » culture, cette dernière étant comprise comme « ensemble des manières de faire, de penser et d’imaginer ». Ceci se traduit souvent par le souhait d’un retour culturel à la période précoloniale.
Deux écueils doivent être évités. Tous deux sont liés à l’image, fausse, d’une culture qui serait figée.
Le premier écueil tient aux théories limitant l’action coloniale à une violence des colons. Cette lecture du passé colonial conduit à une vision « victimaire » des pays africains, et plus nuisible encore, elle conduit à l’image d’une histoire figée du continent. En effet, en axant exclusivement leurs discours sur la place de victime des populations africaines vis-à-vis des Européens, les détracteurs de la colonisation européenne en Afrique limitent l’histoire des populations africaines à la période coloniale. Or, il y a eu un avant et un après la période coloniale.
Contrairement à ce qui a pu être fait par le président de la République française, Emmanuel Macron, éviter ce premier écueil en tant que Français et Européen ne doit pas conduire à un autre écueil : se renvoyer mutuellement la balle pour ce qui est de la responsabilité de son pays dans la situation actuelle du pays africain concerné. La conférence de presse commune à Emmanuel Macron et à Félix Tshiseki, président de la République démocratique du Congo, est en cela édifiante. Elle s’est tenue à l’issue de la « tournée africaine » d’Emmanuel Macron (4 mars 2023). Deux erreurs sont à noter du côté français :
Une stratégie française et européenne pourrait consister à partir de la période précoloniale. Si le souhait des populations africaines est un retour à la culture précoloniale de leurs pays, l’UE peut soutenir cette demande dans la mesure où elle va dans le sens d’une reconnaissance du caractère évolutif de toute culture. « En matière de culture, il n’y a jamais rien de pur. Tous les peuples qui se côtoient, déteignent les uns sur les autres ». La diffusion des pratiques comme les noms, les religions, les mets a toujours existé ; et les pratiques européennes ne font pas exception. Cette démarche demande de répondre à la critique faite par une partie des détracteurs de la colonisation consistant à désigner la colonisation européenne en Afrique comme un « choc culturel ». Cette lecture de la colonisation s’appuie sur le caractère militaire de l’action coloniale française et européenne. Chaque combat, chaque guerre produit un vainqueur et un perdant. Dans le cas de la colonisation européenne en Afrique, les Européens ont bénéficié de leur avantage militaire, que ce soit sur le plan stratégique ou sur le plan matériel. Force est de constater que si les hommes commencent à sanctionner les vainqueurs des batailles et guerres d’hier, la coopération politique actuelle entre l’ancien perdant et l’ancien vainqueur n’est pas prête de se réaliser.
Sur ce plan, la coopération eurafricaine peut s’appuyer sur l’exemple du moteur franco-allemand : la France et l’Allemagne se font fait la guerre à plusieurs reprises au cour de leur histoire et la dernière, la Seconde Guerre mondiale, a conduit à ce qui a été le pire génocide jamais réalisé au cœur de l’Europe. Pour autant, les deux pays se sont réconciliés et ont marqué cette réconciliation en développant un projet commun : l’Union européenne. Cette organisation, symbole de paix et d’union entre les peuples français, allemand et européen, peut être utilisée comme « vitrine » d’une proposition politique faite par l’UE à l’UA et aux pays africains.
Cette stratégie européenne peut comprendre quatre aspects.
Un premier aspect serait la poursuite des retours d’œuvres culturelles aux pays africains le souhaitant. C’est ce qu’a fait l’Italie avec la Libye dans le cadre du Traité de Benghazi (30/08/2008). En restituant la Vénus de Cyrène du IIème siècle après J.-C., l’Italie a répondu à une demande libyenne. Ceci s’avère être un aspect déterminant de la coopération eurafricaine, dans la mesure où ces productions artistiques participent, pour les pays concernés, à définir leur origine, leur histoire.
Un deuxième aspect serait la référence à des héros de l’histoire des pays africains hors période coloniale. Thomas Sankara est en cela le héros idéal. Considéré comme le père de la révolution burkinabée, il reste une icône de la jeunesse africaine, qu’elle soit entièrement africaine ou qu’elle ait des origines africaines et vive en Europe. Sa phrase la plus connue est : « La patrie ou la mort. Nous vaincrons. ». Les références à ce slogan de Thomas Sankara, et plus largement son héritage culturel, se retrouvent notamment dans le « street art » des jeunes euro-africains (franco-burkinabé, belgo-camerounais, etc.) et également dans l’enseignement d’écoles africaines comme Ecolojah citée plus haut.
La référence à Thomas Sankara est d’autant plus intéressante qu’elle permet de rattacher le discours européen à un certain nombre de valeurs défendues par Thomas Sankara, notamment en matière de féminisme et d’écologie.
En matière de féminisme, Thomas Sankara est connu pour ses slogans comme : « Aucune révolution ne se fera sans les femmes » et également pour son programme politique et ses discours incluant :
Il a également confié plusieurs des ministères burkinabés à des femmes, notamment celui du Sport, ce qui était révolutionnaire pour l’époque.
En matière d’écologie, Thomas Sankara est connu pour ses discours (et actions) sur l’agriculture burkinabée. Il a notamment défendu :
Tout ceci est à inscrire dans l’objectif de base de Thomas Sankara : construire la « patrie des hommes honnêtes », traduction de « Burkina Faso » en burkinabé.
Un troisième aspect tient la place du sport et l’esprit olympique.
Tout d’abord car il est un héritage de la période coloniale. C’est ce que rappellent P. Chifflet et S. Gouda dans le cas la colonisation française en Afrique noire. Repris par les dirigeants au moment des indépendances, il participe aujourd’hui très largement au développement des identités nationales de pays africains comme le Cameroun, le Bénin, le Niger, le Sénégal.
Ensuite car il illustre comment les pays africains peuvent cultiver leur particularité tout en s’inscrivant dans un espace plus large d’influences externes, mondial dans le cas de l’esprit olympique.
Enfin, car il est un domaine illustrant comment certains pays africains ont réussi à imposer leur culture. L’exemple de l’athlétisme peut ici être pris. Comme le rappellent P. Chifflet et S. Gouda : « dans les sociétés rurales africaines, la notion de personne est conçue sous une forme complexe. La personne n’est pas une individualité, mais un nœud de relations fondu dans une communauté ». Pour autant, des pays comme le Kenya et l’Éthiopie dominent aujourd’hui très largement des disciplines athlétiques, sur le papier individuelles. Les principales sont les courses de demi-fond, allant du 800m au marathon, en passant par le steeple. Le mode d’entrainement de l’athlète Eliud Kipchoge, notamment double-champion olympique sur marathon (2016 et 2020), est très largement imité par les demi-fondeurs européens. La spécificité de son entrainement passe par un travail d’équipe : les athlètes rejoignent les hauteurs kényanes la semaine, pour s’entrainer ensemble sur un rythme comprenant 2 à 3 entrainements journaliers. Ceci a fait du Kenya un terrain recherché par les demi-fondeurs mondiaux pour chercher à reproduire ces pratiques comprenant les modes d’entrainement mais également l’alimentation, tout en bénéficiant du climat alpin, connu pour ses vertus sportives.
Un quatrième aspect tient aux travaux des historiens. Permettre aux historiens de faire leur travail est plus que jamais nécessaire et la période coloniale n’échappe pas à cette règle. Comme l’écrit Benjamin Stora : « À l’heure de la compétition victimaire et de la reconstruction de récits fantasmés, on verra que la liberté d’esprit et le travail historique sont des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoires enflammées, surtout dans la jeunesse ».
A titre d’exemple, l’assassinat du leader algérien du FLN Abane Ramdane a causé de vives controverses, jusqu’à ce que les historiens établissent qu’il avait été tué « par ses compagnons du FLN, au Maroc en décembre 1957 ».
L’accès aux archives est un aspect déterminant dans le travail des historiens. Dans le cas de la Guerre d’Algérie, il a fallu attendre 1992 pour que soient ouvertes « les archives militaires à Vincennes, mais aussi les archives de l’ECPA, archives photographiques de l’armée française et qui constituent un fonds gigantesque de trois-cent-mille documents ».
Établir la vérité prend du temps, en plus de n’être jamais close, ce que montre notamment l’évolution des manuels scolaires.
Bibliographie
Articles universitaires
CHIFFLET P. et GOUDA S., « Olympisme et identité nationale en Afrique noire francophone », STAPS 1996, p. 93-105.
Articles journalistiques
RTI Officiel, « Cultures africaines et influences externes », 8 février 2019.
Rapports
STORA Benjamin, « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », p. 3, janvier 2021.